La Cuisine est un Art

Lorsque l’on parle d’art, on cite toujours un écrivain, un musicien ou un peintre dont la mission est de créer un univers illusoire, un paradis artificiel pour nous consoler d’une réalité qui serait absurde. La mission d’un cuisinier est tout autre : en créant un univers qui n’a rien d’illusoire, un paradis qui n’a rien d’artificiel, il nous rapproche d’un Dieu dont je ne sais si tel ou tel chef y croit mais dont je suis certain qu’ils ne le rejettent pas. Et si un grand repas c’est du rêve, de l’illusion et des idées, c’est aussi l’univers des choses les plus simples auxquelles le génie du chef ajoute celui des choses invisibles. Certains cuisiniers nous donnent accès à cette réalité, ils nous la font percevoir dans son évidence concrète parce qu’ils sont, tout simplement des artistes.

Bernard Carrère.


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21 juin 2011

La Grande Chartreuse

«Il est une liqueur célèbre depuis assez longtemps déjà composée par les chartreux elle est agréable et fort chère, les chartreux sont moins célèbres aujourd'hui par leurs austérités que par la Chartreuse verte ou jaune».
 "Les Dents du Dragon" Alphonse Karr - 1869


A l’époque où les moines et les apothicaires étaient pratiquement les seuls à posséder les connaissances nécessaires au travail des plantes,  le Maréchal d’Estrées - frère de  Gabrielle d’Estrées, Maîtresse d’Henri IV, «la "presque reine" dont l’extrême beauté ne sentait rien de lascif» (Agrippa d’Aubigné) - remit aux Moines parisiens de la Chartreuse de Vauvert un manuscrit décrivant un "Elixir de Longue Vie" dont on ignore encore l’origine. Réputée pour ses bienfaits - dans une lettre de 1611, le Cardinal de Richelieu remercie avec chaleur le Prieur de cette Chartreuse de lui avoir adressé cette «médecine» qui le soulagea «d’une fâcheuse maladie» - cette préparation particulièrement compliquée à élaborer comprend «plus de 130 éléments dont de nombreuses plantes macérées dans de l’eau de vie de vin ayant subi moult opérations lui enlevant toute âcreté». Fabriqué confidentiellement dans l’abbaye de Vauvert durant quelques décennies, "l’Elixir de Longue Vie" sortit de l’anonymat en 1737 lorsque le Frère Jérôme Maubec, apothicaire du Monastère de la Grande Chartreuse, en reformula la recette originale pour fixer définitivement celle de "l'Elixir Végétal de la Grande Chartreuse" titrant 71°. Sa commercialisation est alors limitée aux marchés de Grenoble et de Chambéry où le Frère Charles va les vendre à dos de mulet. Quelques années plus tard, en 1764, une nouvelle préparation sera mise au point par les Moines et  commercialisée dans la région dauphinoise sous le nom de "Chartreuse Verte" dite "Liqueur de Santé", Titrant 55°. En 1789, le précieux manuscrit de la recette originale de la liqueur les moines, dispersés par la Révolution, est confié à l’un des leurs tandis que le seul religieux autorisé à rester au Monastère en conserve une copie. Arrêté puis envoyé à Bordeaux, celui-ci réussit à la faire passer hors de sa cellule et à la transmettre à un autre moine réfugié près du Monastère. Ne pouvant pas en faire usage et pensant que l'Ordre des Chartreux ne serait jamais rétabli, il en concède une copie à un pharmacien de Grenoble, Monsieur Liotard. En 1810, une ordonnance de Napoléon Ier demande que les «remèdes secrets» soient soumis au Ministre de l'Intérieur pour être examinés afin d'être exploités par l'Etat. En bon citoyen, Monsieur Liotard adresse le manuscrit portant la recette de "l’Elixir Végétal de la Grande Chartreuse" au Ministère concerné qui le lui retourne sans tarder avec la mention : «Refusé». «Gardien» du secret des moines, Monsieur Liotard demanda que celui-ci leur fut rendu après que ces derniers aient été autorisés à regagner le Monastère de la Grande Chartreuse en 1816. Vingt deux années plus tard, la formule est adaptée pour produire une liqueur plus douce et moins alcoolisée, la Chartreuse Jaune, titrant 40°. 
En 1905, à la suite de la promulgation de la loi sur la Séparation de l’Eglise et de l’Etat, les Chartreux sont expulsés de France et emportent leur secret en Espagne où ils implanteront une distillerie à Tarragone avant de revenir s’installer en 1921 à Marseille où ils fabriqueront durant huit ans une liqueur du nom de "Tarragone", le nom de "Grande Chartreuse" ayant été vendu par l’Etat Français à un groupe de liquoriste qui cessa ses activités en 1929. Retrouvant l’usage de l’appellation "Chartreuse", les moines reprennent la distillation dans leur ancienne distillerie proche du Monastère de la Grande Chartreuse, jusqu’en 1935, date à laquelle la fabrication est transférée à Voiron, où elle est toujours réalisée, après le travail de sélection des 130 plantes effectué encore et toujours à l’intérieur du Monastère par les Pères Chartreux, investis de cette mission par leur Ordre, pour travailler dans le plus grand secret à l’élaboration d’une liqueur dont la formule reste un mystère.


«Il existe une autre liqueur, liqueur de table, liqueur hygiénique, médicament même dans une foule de cas, composée elle aussi de plantes aromatiques à propriétés excitantes dans lesquelles il est juste de dire que l'absinthe n'entre pas, ayant elle aussi pour véhicule des alcools à un degré de concentration tout aussi élevé que ceux qui entrent dans la composition de l'absinthe. Nous voulons parler de la chartreuse. Tout le monde sait que cette liqueur est un stomachique puissant et agréable qu'elle active les digestions pénibles et laborieuses mais tout le monde sait aussi que l'ivresse est prompte à venir lorsqu'on en abuse. Chose remarquable, l'ivresse se montre d'autant plus promptement que la Chartreuse est mêlée à l'eau».
 "Revue de thérapeutique médico-chirurgicale" par le Dr A. Martin-Lauzer - 1863

Merci à Samuel Vidal pour sa collection de photos.

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